Au travers des siècles, le territoire de l'actuelle
Tunisie a successivement été sous influence carthaginoise, numide, romaine,
byzantine, vandale, omeyyade, aghlabide, fatimide, normande de Sicile,
almohade, hafside, ottomane et française. Ces circonstances, ainsi que la
position de la Tunisie à l'intersection entre le Bassin méditerranéen, l'Europe
et l'Afrique, ont influencé la diversité culturelle du pays.
Article détaillé : Histoire de la Tunisie.
Préhistoire
Les premières traces de présence humaine en Tunisie
datent du Paléolithique. C'est à vingt kilomètres à l'est de Gafsa, dans l'oasis d'El Guettar, que se rassemble une petite population nomade de
chasseurs-cueilleurs moustériens.
Michel Gruet, l'archéologue qui découvre le site, relève qu'ils consomment
des dattes dont
il retrouve le pollen aux alentours de la source aujourd'hui
asséchée
À une culture ibéromaurusienne,
répartie sur le littoral et relativement minime en Tunisie, succède la
période du Capsien, nom créé par Jacques de Morgan et
issu du latin Capsa,
qui a lui-même donné le nom de l'actuelle Gafsa. Morgan définit le Capsien comme étant une culture
allant du Paléolithique
supérieur au Néolithique,
couvrant ainsi une période qui s'étend du VIIIe au Ve millénaires av.
J.-C. D'un point de vue ethnologique et archéologique, le Capsien prend une
importance plus grande puisque des ossements et
des traces d'activité humaine remontant à plus de 15 000 ans sont
découverts dans la région. Outre la fabrication d'outils en pierre et en silex, les Capsiens produisaient, à partir
d'ossements, divers outils dont des aiguilles pour coudre des vêtements à
partir de peaux d'animaux.
Au Néolithique (4500 à 2500
av. J.-C. environ), arrivé tardivement dans cette région, la présence
humaine est conditionnée par la formation du désert saharien,
qui acquiert son climat actuel. De même, c'est à cette époque que le peuplement
de la Tunisie s'enrichit par l'apport des Berbères, issus
semble-t-il de la migration vers le nord de populations libyques (ancien
terme grec désignant les populations africaines en général).
Le Néolithique voit également le contact s'établir entre les Phéniciens de Tyr, les futurs Carthaginois qui
fondent la civilisation
punique, et les peuples autochtones de
l'actuelle Tunisie, dont les Berbères sont désormais devenus la composante
essentielle.
On observe le passage de la Préhistoire à
l'Histoire principalement
dans l'apport des populations phéniciennes, même si le mode de vie néolithique
continue un temps à exister aux côtés de celui des nouveaux arrivants. Cet
apport est nuancé, notamment à Carthage (centre de la civilisation punique
en Occident), par la
coexistence de différentes populations minoritaires mais dynamiques comme les
Berbères, les Grecs, les Italiens ou les Ibères d'Espagne.
Les nombreux mariages mixtes contribuent à l'établissement de la civilisation
punique.
Article détaillé : Préhistoire
de la Tunisie.
De Carthage punique à Carthage romaine.
L'entrée de la Tunisie dans l'histoire se fait par
l'expansion d'une cité issue d'une colonisation proche-orientale.
La Tunisie accueille progressivement une série de comptoirs phéniciens comme
bien d'autres régions méditerranéennes. Le premier comptoir selon la tradition
est celui d'Utique, qui date
de 1101 av. J.-C. En 814 av. J.-C, des colons phéniciens venus de Tyr fondent la ville de Carthage. D'après
la légende, c'est la reine Élyssa (Didon pour les Romains), sœur du roi de Tyr Pygmalion, qui est
à l'origine de la cité. Ouverte sur la mer, Carthage est également ouverte
structurellement sur l'extérieur. Un siècle et demi après la fondation de la
ville, les Carthaginois ou Puniques étendent leur emprise sur le bassin
occidental de la mer Méditerranée.
Cette présence prend diverses formes, y compris celle
de la colonisation, mais reste d'abord commerciale (comptoirs de commerce,
signature de traités, etc.). La mutation vers un empire plus terrestre se
heurte aux Grecs de Sicile puis à la puissance montante de Rome et de
ses alliés massaliotes, campaniens ou
italiotes. Le cœur carthaginois qu'est la Tunisie, à la veille des guerres puniques,
possède une capacité de production agricole supérieure à celle de Rome et de
ses alliés réunis, et son exploitation fait l'admiration des Romains. La lutte
entre Rome et Carthage prend de l'ampleur avec l'essor des deux cités : ce
sont les trois guerres puniques, qui faillirent voir la prise de Rome mais se
conclurent par la destruction de Carthage, en 146 av. J.-C. après un siège de trois ans. À l'issue de la Troisième Guerre
punique, Rome s'installe sur les décombres de la ville. La fin des guerres
puniques marque l'établissement de la province romaine
d'Afrique dont Utique devient
la première capitale, même si le site de Carthage s'impose à nouveau par ses
avantages et redevient capitale en 14.
En 44 av. J.-C, Jules César décide
d'y fonder une colonie romaine,
la Colonia Julia Carthago, mais il faudra attendre quelques
décennies pour qu'Auguste lance les travaux de la cité. La région connaît
alors une période de prospérité où l'Afrique devient pour Rome un fournisseur
essentiel de productions agricoles, comme le blé et l'huile d'olive,
grâce aux plantations d'oliviers chères aux Carthaginois. La province se couvre d'un
réseau dense de cités romanisées dont les vestiges encore visibles à l'heure
actuelle demeurent impressionnants : il suffit de mentionner les sites
de Dougga (antique Thugga), Sbeïtla (Sufetula), Bulla Regia, El Jem (Thysdrus)
ou Thuburbo Majus. Partie intégrante de la République puis de l'Empire avec
la Numidie, la Tunisie devient pendant six siècles le siège d'une
civilisation romano-africaine d'une exceptionnelle richesse, fidèle à sa
vocation de « carrefour du monde antique ».
La Tunisie est alors le creuset de l'art de la mosaïque, qui s'y
distingue par son originalité et ses innovations.
Concurrents des dieux romains, des dieux indigènes
apparaissent sur des frises d'époque impériale, et le culte de certaines
divinités, Saturne et Caelestis, s'inscrit dans la continuité du culte voué par les
Puniques à Ba'al Hammon et à Tanit, sa parèdre. Le « carrefour du monde antique » voit aussi
l'installation précoce de communautés
juives et, dans le sillage de
celles-ci, des premières communautés chrétiennes. L'apogée du IIe et
du début du IIIe siècle
ne va toutefois pas sans heurts, la province connaissant quelques crises au IIIe siècle av.
J.-C. : elle est frappée par la répression de la révolte de Gordien Ier en 238 ; elle subit de même les affrontements
entre usurpateurs au début du ive siècle.
La province est l'une des moins touchées par les
difficultés que connaît l'Empire romain entre 235 et le début du ive siècle.
Avec la Tétrarchie, la province recouvre une prospérité que révèlent les
vestiges archéologiques, provenant tant de constructions publiques que
d'habitations privées. Cette époque est aussi le premier siècle du
christianisme officiel, devenu religion licite en 313 et religion personnelle
de l'empereur Constantin.
Article détaillé : Histoire de Carthage.
Articles connexes : Civilisation
carthaginoise et Afrique romaine
Christianisation
Dans un espace ouvert sur l'extérieur comme l'est
alors la province d'Afrique, le christianisme se
développe de façon précoce grâce aux colons, commerçants et soldats, et la
région devient l'un des foyers essentiels de la diffusion de la nouvelle foi,
même si les affrontements religieux y sont violents avec les païens. Dès
le iie siècle,
la province applique aussi les sanctions impériales, les premiers martyrs étant
attestés dès le 17 juillet 180 : ceux qui refusent de se rallier au
culte officiel peuvent être torturés, relégués sur des îles, décapités, livrés
aux bêtes féroces, brûlés voire crucifiés.
À la fin du IIe siècle, la
nouvelle religion progresse dans la province car, malgré une situation
difficile, la nouvelle foi s'implante plus vite qu'en Europe, notamment
en raison du rôle social joué par l'Église d'Afrique qui apparaît dans la seconde moitié du IIIe siècle,
aidé en cela par une très forte densité urbaine. De plus, une fois l'Édit de Thessalonique publié par l'empereur Théodose Ier en 381, la christianisation devient automatique,
puisque aucun autre culte n'est permis dans l'Empire. Ainsi, au cours du vé siècle
et sous l'action dynamique d'Augustin d'Hippone et l'impulsion de quelques évêques, les
grands propriétaires terriens et l'aristocratie citadine
se rallient au christianisme, où ils voient leur intérêt, l'Église intégrant
alors les diverses couches sociales. Rapidement, la province d'Afrique est
considérée comme un phare du christianisme latin occidental.
Cette expansion rencontre toutefois des obstacles, en
particulier lors du schisme donatiste qui
est condamné de façon définitive au concile de Carthage. Ce dernier accuse les schismatiques d'avoir coupé les
liens entre l'Église africaine et les Églises orientales originelles.
En dépit de cette lutte religieuse, la conjoncture économique, sociale et culturelle est relativement favorable au moment du triomphe du christianisme, comme en témoignent les nombreux vestiges, notamment de basiliques à Carthage et de nombreuses églises aménagées dans d'anciens temples païens (comme à Sbeïtla) ou même certaines églises rurales découvertes récemment. Le 19 octobre 439, après s'être rendus maîtres d'Hippone, les Vandales et les Alains entrent dans Carthage, où ils installent leur royaume pour près d'un siècle. Les Vandales sont adeptes de l'arianisme,
déclarée hérésie au concile de Nicée, ce qui ne facilite pas les relations entre eux et les notables locaux majoritairement chalcédoniens. Or les Vandales exigent de la population une totale allégeance à leur pouvoir et à leur foi. En conséquence, ceux qui tentent de s'opposer aux Vandales ou à l'arianisme sont persécutés : de nombreux hommes d'Église sont martyrisés, emprisonnés ou exilés dans des camps au sud de Gafsa. Dans le domaine économique, les Vandales appliquent à l'Église la politique de confiscation dont doivent pâtir les grands propriétaires. Cependant, la culture latine reste largement préservée et le christianisme prospère tant qu'il ne s'oppose pas au souverain en place.
Dans ce contexte, le territoire, enserré par des principautés berbères, est attaqué par les tribus de nomades chameliers : la défaite, en décembre 533 à la bataille de Tricaméron, confirme l'anéantissement de la puissance militaire vandale. Carthage est prise facilement par les Byzantins dirigés par le général Bélisaire, envoyé par Justinien, le roi vandale Gélimer se rendant en 534. Malgré la résistance des Berbères, les Byzantins rétablissent l'esclavage et instituent de lourds impôts. Par ailleurs, l'administration romaine est restaurée. L'Église d'Afrique est mise au pas et Justinien fait alors de Carthage le siège de son diocèse d'Afrique. À la fin du vie siècle, la région est placée sous l'autorité d'un exarque cumulant les pouvoirs civil et militaire, et disposant d'une large autonomie vis-à-vis de l'empereur. Prétendant imposer le christianisme d'État, les Byzantins pourchassent le paganisme, le judaïsme et les hérésies chrétiennes. Pourtant, à la suite de la crise monothéliste, les empereurs byzantins, opposés à l'Église locale, se détournent de la cité. Or, avec une Afrique byzantine entraînée dans le marasme, un état d'esprit insurrectionnel secoue des confédérations de tribus sédentarisées et constituées en principautés. Ces tribus berbères sont d'autant plus hostiles à l'Empire byzantin qu'elles ont conscience de leur propre force. Avant même sa prise par les Arabes en 698, la capitale et, dans une certaine mesure, la province d'Afrique se sont vidées de leurs habitants byzantins. Dès le début du VIIe siècle, l'archéologie témoigne en effet d'un repli, ceci étant particulièrement évident à Carthage.Moyen Âge arabo-musulman
La première expédition arabe sur la Tunisie est
lancée en 650, à l'époque du calife Othmân ibn Affân. Commandée par Abd Allâh ibn
Saad, l'armée arabe écrase l'armée
byzantine du patrice Grégoire près de Sbeïtla. En 666,
une deuxième offensive menée par Mu'awiya ibn Hudayj à l'époque du calife
omeyyade Muʿawiya Ier se termine par la prise de plusieurs villes
dont Sousse et Bizerte. L'île
de Djerba est
prise en 667. La troisième expédition, menée en 670 par Oqba Ibn Nafi
al-Fihri, est décisive : ce dernier
fonde la ville de Kairouan au cours de la même année et cette ville
devient la base des expéditions contre le Nord et l'Ouest du Maghreb.
L'invasion complète manque d'échouer avec la mort d'Ibn Nafi en 683, à la suite d'une embuscade tendue par le chef
berbère Koceïla au sud de l'Aurès. Après la
mort d'Ibn Nafi, les Arabes évacuent Kairouan, où s'installe Koceila qui
devient le maître de l'Ifriqiya : les Byzantins ne sont plus, selon les
historiens arabes, que ses simples auxiliaires. Envoyé en 693 avec une
puissante armée arabe, le général ghassanide Hassan Ibn Numan réussit
à vaincre l'exarque et à prendre Carthage en 695. Seuls résistent certains
Berbères dirigés par la Kahena.
Les Byzantins, profitant de leur supériorité navale,
débarquent une armée qui s'empare de Carthage en 696 pendant que la Kahena
remporte une bataille contre les Arabes en 697. Ces derniers, au prix d'un
nouvel effort, finissent cependant par reprendre définitivement Carthage en 698
et par vaincre et tuer la Kahena. Contrairement aux Phéniciens, les Arabes
ne se contentent pas d'occuper la côte et entreprennent de conquérir
l'intérieur du pays. Après avoir résisté, les Berbères se convertissent à la
religion de leurs vainqueurs, principalement à travers leur recrutement dans
les rangs de l'armée victorieuse. Des centres de formation religieuse
s'organisent alors, comme à Kairouan, au sein des nouveaux ribats. On ne saurait toutefois estimer l'ampleur de ce
mouvement d'adhésion à l'islam. D'ailleurs, refusant l'assimilation, nombreux
sont ceux qui rejettent la religion dominante et adhèrent au kharidjisme,
courant religieux musulman né en Orient et proclamant notamment l'égalité de
tous les musulmans sans distinction de race ni de classe. La région reste une province
omeyyade jusqu'en 750, quand la lutte entre Omeyyades et Abbassides voit
ces derniers l'emporter. De 767 à 776, les kharidjites berbères sous le
commandement d'Abou Qurra s'emparent de tout le territoire, mais ils se
retirent finalement dans le royaume de Tlemcen, après
avoir tué Omar ibn Hafs, surnommé Hezarmerd, dirigeant de la Tunisie à cette
époque.
En 800, le calife abbasside Hâroun
ar-Rachîd délègue
son pouvoir en Ifriqiya à l'émir Ibrahim
ibn al-Aghlab et
lui donne le droit de transmettre ses fonctions par voie héréditaire. Al-Aghlab
établit la dynastie des Aghlabides, qui règne durant un siècle sur le Maghreb central et
oriental. Le territoire bénéficie d'une indépendance formelle tout en
reconnaissant la souveraineté abbasside. La Tunisie devient un foyer culturel
important avec le rayonnement de Kairouan et de sa Grande
Mosquée, un centre
intellectuel de haute renommée. À la fin du règne de Ziadet Allah Ier (817-838), Tunis devient
la capitale de l'émirat jusqu'en 909. Appuyée par les tribus Kutama qui forment une armée fanatisée, l'action du prosélyte ismaélien Abu Abd
Allah ach-Chi'i entraîne
la disparition de l'émirat en une quinzaine d'années (893-909). En décembre 909, Ubayd
Allah al-Mahdi se
proclame calife et fonde la dynastie des Fatimides, qui déclare usurpateurs les califes omeyyades et abbassides ralliés au sunnisme. L'État fatimide s'impose progressivement sur toute
l'Afrique du Nord en contrôlant les routes caravanières et le commerce avec l'Afrique
subsaharienne. En 945, Abu Yazid, de la grande tribu des Ifrenides, organise sans succès une grande révolte berbère pour
chasser les Fatimides. Le troisième calife, Ismâ`îl
al-Mansûr, transfère
alors la capitale à Kairouan et s'empare de la Sicile en 948. Lorsque la dynastie fatimide
déplace sa base vers l'est en 972, trois ans après la conquête finale de la
région, et sans abandonner pour autant sa suzeraineté sur l'Ifriqiya, le
calife Al-Muʿizz
li-Dīn Allāh confie
à Bologhine
ibn Ziri, fondateur de
la dynastie des Zirides, le soin de gouverner la province en
son nom. Les Zirides prennent peu à peu leur indépendance vis-à-vis du calife
fatimide, ce qui culmine lors de la rupture avec ce suzerain devenu lointain et
inaugure l'ère de l'émancipation berbère.
L'envoi depuis l'Égypte de tribus arabes nomades sur
l'Ifriqiya marque la réplique des Fatimides à cette trahison. Les Hilaliens suivis
des Banu Sulaym, dont le nombre total est estimé à
50 000 guerriers et 200 000 Bédouins, se
mettent en route après que de véritables titres de propriété leur ont été
distribués au nom du calife fatimide. Kairouan résiste pendant cinq ans avant
d'être occupée et pillée. Le souverain se réfugie alors à Mahdia en 1057 tandis que les nomades continuent de se répandre en
direction de l'Algérie, la vallée de la Medjerda restant
la seule route fréquentée par les marchands. Ayant échoué dans sa tentative
pour s'établir dans la Sicile reprise par les Normands, la
dynastie ziride s'efforce sans succès pendant 90 ans de
récupérer une partie de son territoire pour organiser des expéditions de piraterie et
s'enrichir grâce au commerce maritime.
À partir du premier tiers du XIIe siècle, la
Tunisie est régulièrement attaquée par les Normands de Sicile et du Sud de
l'Italie, basés dans le royaume normano-sicilien, qui finissent par conquérir l'ensemble du littoral
tunisien et y fonde le Royaume d'Afrique. Celui-ci est une extension de la frontière siculo-normande dans l'ancienne province romaine
d'Afrique (alors appelée Ifriqiya), qui
correspond aujourd'hui à la Tunisie ainsi qu'à une partie de l'Algérie et de
la Libye. Les sources
primaires ayant trait au royaume sont en arabe alors que les sources latines (chrétiennes) sont plus rares. Selon Hubert Houben,
étant donné qu'Afrique n'a jamais été
officiellement ajouté aux titres royaux des rois de Sicile « on ne devrait pas parler d'un ‘Royaume Norman d'Afrique'
à proprement parler ». L'« Afrique
normande » est plutôt une constellation de villes gouvernées
par les Normands sur la côte ifriqiyenne.
La conquête sicilienne de l'Ifriqiya commence sous le
règne de Roger II en 1146-1148. Le règne sicilien consiste en
des garnisons militaires dans les principales villes, des
exactions sur les populations musulmanes, la protection des chrétiens et le
monnayage de pièces de monnaie. L'aristocratie locale est largement gardée en
place et des princes musulmans se chargent des affaires civiles sous
surveillance normande. Les relations économiques entre la Sicile et l'Ifriqiya,
qui étaient déjà fortes avant la conquête, sont renforcées, tandis que les
échanges entre l'Ifriqiya et le Nord de l'Italie sont étendus. Sous le règne
de Guillaume Ier de Sicile, le Royaume d'Afrique tombe aux mains des Almohades (1158-1160).
Son héritage le plus durable est le réalignement des puissances
méditerranéennes provoqué par sa disparition et la paix siculo-almohade
finalisée en 1180. L'ensemble du territoire de l'Ifriqiya finit par être occupé
par l'armée du sultan almohade Abd al-Mumin lors de son expédition depuis le nord du Maroc en 1159. L'économie devient florissante et des
relations commerciales s'établissent avec les principales villes du pourtour
méditerranéen (Pise, Gênes, Marseille, Venise et
certaines villes d'Espagne).
L'essor touche également le domaine culturel avec
les œuvres du grand historien et père de la sociologie Ibn Khaldoun ;
le siècle almohade est considéré comme l'« âge
d'or » du Maghreb. De grandes villes se développent et les
plus belles mosquées sont érigées à cette époque. Les Almohades confient la
Tunisie à Abû
Muhammad `Abd al-Wâhid ben Abî Hafs mais
son fils Abû Zakariyâ Yahyâ se sépare d'eux en 1228 et fonde la nouvelle dynastie berbère des Hafsides. Elle acquiert son indépendance dès 1236 et dirige la Tunisie jusqu'en 1574, ce qui en fait
la première dynastie tunisienne par sa durée. Elle établit la capitale du pays
à Tunis, et la ville se développe grâce au commerce avec les Vénitiens, les
Génois, les Aragonais et
les Siciliens.
Article détaillé : Tunisie à
l'époque médiévale.
Tunisie ottomane
Les Hafsides de Tunis s'essoufflent et perdent peu à
peu, après la bataille de Kairouan en 1348, le contrôle de leurs territoires au profit
des Mérinides d'Abu Inan Faris,
alors que, frappée de plein fouet par la peste de 1384, l'Ifriqiya continue de subir une
désertification démographique amorcée par les invasions hilaliennes. C'est
alors que commencent à arriver les Maures musulmans
et juifs andalous fuyant
la déchéance du royaume de Grenade en 1492 et occasionnant des problèmes
d'assimilation. En une dizaine d'années, les souverains espagnols Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille prennent les cités de Mers el-Kébir, Oran, Bougie, Tripoli et
l'îlot situé en face d'Alger. Pour s'en libérer, les autorités de la cité sollicitent l'aide de
deux corsaires renommés, d'origine grecque : les frères Arudj et Khayr ad-Din
Barberousse.
La Tunisie offrant un environnement favorable, les
frères Barberousse s'y illustrent : Arudj reçoit en effet du souverain
hafside aux abois l'autorisation d'utiliser le port de La Goulette puis
l'île de Djerba comme base. Après la mort d'Arudj, son frère Khayr
ad-Din se place dans la vassalité du
sultan d'Istanbul. Nommé grand amiral de
l'Empire ottoman, il s'empare de Tunis en 1534 mais doit se retirer après
la prise de la ville par l'armada que Charles Quint mène
en 1535,. En 1560, Dragut parvient
à Djerba et, en 1574, Tunis est reprise par les Ottomans, qui font de la
Tunisie une province de leur empire en 1575. Pourtant, malgré leurs
victoires, les Ottomans ne s'implantent guère en Tunisie.
Au cours du XVIIe siècle,
leur rôle ne cesse de décroître au profit des dirigeants locaux qui
s'émancipent progressivement de la tutelle du sultan d'Istanbul alors que
seuls 4 000 janissaires sont en poste à Tunis. Au bout de quelques années
d'administration turque, plus précisément en 1590, ces janissaires s'insurgent,
plaçant à la tête de l'État un dey et, sous ses
ordres, un bey chargé du contrôle du territoire et de la collecte
des impôts. Ce dernier ne tarde pas à devenir le personnage essentiel de
la régence aux côtés du pacha, qui reste confiné
dans le rôle honorifique de représentant du sultan ottoman, au point
qu'une dynastie beylicale finit par être fondée par Mourad Bey en 1613.
Le 15 juillet 1705, Hussein Ier Bey fonde la dynastie des Husseinites. Le 13 mai 1752, Ali Metzan prend les armes contre son père, le vieux dey qu'il oblige à lui confier la direction de l'État. Des troubles éclatent dans la population et des scènes de pillages et de violences du quartier juif de Tunis ont lieu. Quoique toujours officiellement province de l'Empire ottoman, la Tunisie acquiert une grande autonomie au XIXe siècle, notamment avec Ahmed Ier Bey, régnant de 1837 à 1855, qui enclenche un processus de modernisation. Sous la pression franco-anglaise consécutive à l'affaire Sfez de 1857, des réformes ottomanes des Tanzimat interviennent sous la plume de Mohammed Bey qui promulgue le Pacte fondamental (Ahd El Aman) ou Pacte de sécurité le 10 septembre 1857, document qui s'inscrit dans l'héritage des idéaux de la Révolution française de 1789
À cette époque, le pays vit de profondes réformes,
comme l'abolition de l'esclavage et faisant suite au Pacte fondamental, l'adoption
en 1861 d'une véritable Constitution, remise en 1860 par Sadok Bey à l'empereur Napoléon III, et manque
même de devenir une république indépendante.
Ces bouleversements s'inscrivent dans un contexte économique instable, et les
musulmans s'en prennent physiquement à leurs voisins juifs accusés de profiter
des réformes, à leurs biens et aux synagogues, jusqu'en 1869 où plusieurs sont tués
Article détaillé : Régence de Tunis.
l est difficile de mesurer l'importance des
influences turques qui demeurent en Tunisie. Quelques monuments affichent leur
filiation ottomane à l'instar de la mosquée Sidi Mahrez à Tunis, édifiée entre 1692 et 1697. Dans un autre
domaine, l'art des tapis, qui existait pour certains avant l'arrivée des Ottomans, voit les
productions de Kairouan présenter au XVIIIe siècle des
motifs purement anatoliens.
Malgré ces influences perceptibles dans l'aspect des
objets manufacturés, l'empreinte de l'Italie voisine se fait de plus en plus
manifeste au cours du XVIIIe siècle,
tant dans l'architecture que dans la décoration, marquant ainsi une ouverture
du pays à l'Europe.
Protectorat français et
lutte nationaliste.
Le pays connaît toutefois peu à peu
de graves difficultés financières, en raison de la politique ruineuse des beys, de la hausse des impôts et d'interférences étrangères
dans l'économie. Tous ces facteurs contraignent le gouvernement à déclarer la
banqueroute en 1869 et à créer une commission financière internationale
anglo-franco-italienne. La régence apparaît vite comme un enjeu stratégique de
première importance de par la situation géographique du pays, à la charnière
des bassins occidental et oriental de la Méditerranée. La Tunisie fait donc
l'objet des convoitises rivales de la France et de l'Italie. Les consuls français et italien tentent de
profiter des difficultés financières du bey, la France comptant sur la
neutralité de l'Angleterre (peu désireuse de voir l'Italie prendre le contrôle
de la route du canal de
Suez) et bénéficiant
des calculs de Bismarck, qui souhaite la détourner de la question de l'Alsace-Lorraine.
Les combats entre tribus algériennes
et tribus khroumirs en territoire algérien fournissent un prétexte à Jules Ferry pour souligner la nécessité de s'emparer de la Tunisie.
En avril 1881, les troupes françaises y pénètrent sans résistance majeure et
parviennent aux abords de Tunis en trois semaines, sans combattre. Le 12
mai 1881, le protectorat est officialisé lorsque Sadok Bey, menacé d'être destitué et remplacé par son frère Taïeb Bey,
signe le traité du
Bardo au palais de
Ksar Saïd. Ceci
n'empêche pas les troupes françaises de faire face, quelques mois plus tard, à
des révoltes rapidement étouffées dans les régions de Kairouan et Sfax.
Le régime du protectorat est renforcé par les conventions
de La Marsa du 8
juin 1883 qui accordent à la
France le droit d'intervenir dans les affaires internes de la Tunisie. La
France représente dès lors la Tunisie sur la scène internationale, et ne tarde
pas à abuser de ses droits et prérogatives de protecteur pour exploiter le pays
comme une colonie, en contraignant le bey à abandonner la
quasi-totalité de ses pouvoirs au résident général. Néanmoins, des progrès économiques ont lieu, notamment via
les banques et les compagnies, ainsi que le développement de nombreuses
infrastructures (routes, ports, chemins de fer, barrages, écoles, etc.).
La colonisation permet l'expansion des cultures de
céréales et de la production d'huile d'olive ainsi
que l'exploitation des mines de phosphates par
la Compagnie des phosphates et des chemins de fer de Gafsa, ainsi que de fer par la Société du Djebel
Djerissa, première
entreprise tunisienne et quinzième française.
Un important port militaire est aménagé à Bizerte. De plus,
les Français établissent un système bilingue arabe et français qui permet à
l'élite tunisienne de se former dans les deux langues. La lutte contre
l'occupation française commence dès le début du XXe siècle avec
le mouvement réformiste et intellectuel des Jeunes Tunisiens fondé
en 1907 par Béchir Sfar, Ali Bach Hamba et Abdeljelil Zaouche. Ce courant nationaliste se manifeste par l'affaire du Djellaz en 1911 et le boycott des
tramways tunisois en 1912. De 1914 à 1921, le pays vit en état d'urgence et la
presse anticolonialiste est interdite. Malgré tout, le mouvement national ne
cesse pas d'exister. Dès la fin de la Première Guerre
mondiale, une nouvelle génération
organisée autour d'Abdelaziz Thâalbi prépare la naissance du parti du Destour.
Entré en conflit avec le régime du protectorat, le
parti expose, dès la proclamation officielle de sa création le 4 juin 1920,
un programme en huit points. Après avoir fustigé le régime du protectorat dans
des journaux comme La Voix du Tunisien et L'Étendard
tunisien, l'avocat Habib Bourguiba fonde
en 1932, avec Tahar Sfar, Mahmoud El Materi et Bahri Guiga, le
journal L'Action tunisienne, qui, outre l'indépendance, prône la laïcité. Cette
position originale conduit le 2 mars 1934, lors du congrès de Ksar
Hellal, à la scission du parti en deux
branches, l'une islamisante qui conserve le nom Destour, et l'autre
moderniste et laïque, le Néo-Destour, une
formation politique moderne, structurée sur les modèles des partis socialistes
et communistes européens, et déterminée à conquérir le pouvoir pour transformer
la société.
Après l'échec des négociations engagées par le gouvernement
Blum, des incidents sanglants éclatent
en 1937 et les émeutes d'avril
1938 sont sévèrement réprimées.
Cette répression conduit à la clandestinité du Néo-Destour, qui incite les
nouveaux dirigeants à ne pas exclure l'éventualité d'une lutte plus active. En
1942, le régime de Vichy livre Bourguiba à
l'Italie, à la demande de Benito Mussolini,
qui espère l'utiliser pour affaiblir la Résistance française en Afrique du Nord. Cependant Bourguiba ne
désire pas cautionner les régimes fascistes et
lance le 8 août 1942 un appel pour le soutien aux troupes
alliées. Pendant ce temps, la Tunisie
est le théâtre d'importantes opérations militaires connues sous le nom
de campagne de Tunisie Après plusieurs mois de combats et une
contre-offensive blindée allemande dans la région de Kasserine et Sidi Bouzid au début de l'année 1943, les troupes du Troisième Reich sont contraintes de capituler le 11
mai dans le cap Bon, quatre jours après l'arrivée des forces alliées à Tunis. Après la Seconde Guerre
mondiale, les dirigeants nationalistes
inscrivent la résistance armée dans la stratégie de libération nationale. Des
pourparlers sont menés après la guerre avec le gouvernement français, si bien
que Robert Schuman évoque en 1950 la possibilité de l'indépendance de
la Tunisie en plusieurs étapes. Mais le gouvernement
français met fin aux négociations
avec le gouvernement
tunisien par la note du 15
décembre 1951 affirmant le « caractère définitif du lien qui unit la France à la
Tunisie ».
Bourguiba demande à Chenik de porter le différend franco-tunisien devant l'ONU afin d'internationaliser le problème. La requête est signée le 11 janvier et, le 13 janvier, Salah Ben Youssef et Hamadi Badra quittent Tunis pour Paris, où ils comptent enregistrer la plainte. Cependant, le 17 janvier, le gouvernement français déclare qu'elle ne peut être examinée par le Conseil de sécurité puisque « la note est signée par des Tunisiens qui n'ont pas le droit de le faire sans l'accord du Bey, seul dépositaire de la souveraineté tunisienne. La France a la charge des Affaires étrangères de la Tunisie ; ce document aurait dû être remis au Résident qui est seul habilité à le transmettre ». Avec l'arrivée du nouveau résident général, Jean de Hauteclocque, le 13 janvier 1952, et l'arrestation, le 18 janvier, de 150 destouriens dont Bourguiba, débutent la révolte armée, la répression militaire française et un durcissement des positions de chaque camp. Le 26 mars, devant le refus catégorique de Lamine Bey de congédier le gouvernement qui avait porté cette plainte à l'ONU, de Hauteclocque fait arrêter Chenik, El Materi, Mohamed Salah Mzali et Mohamed Ben Salem, placés en résidence forcée à Kébili dans le Sud du pays pendant que Bourguiba est transféré à Remada; c'est le coup de force du 26 mars.
Le 5 décembre a lieu l'assassinat du
syndicaliste Farhat Hached par l'organisation colonialiste extrémiste de
la Main rouge, qui déclenche grèves et manifestations, puis leur
répression et des émeutes, grèves, tentatives de sabotage et jets de bombes
artisanales.
Le développement de la répression, accompagnée de
l'apparition du contre-terrorisme, incite les nationalistes à prendre plus spécifiquement
pour cibles les colons, les fermes, les entreprises françaises et les
structures gouvernementales. C'est pourquoi les années 1953 et 1954 sont
marquées par la multiplication des attaques contre le système colonial.
En réponse, près de 70 000 soldats français
sont mobilisés pour arrêter les guérillas des groupes tunisiens dans les
campagnes. Cette situation difficile est apaisée par la reconnaissance de
l'autonomie interne de la Tunisie, concédée par Pierre Mendès France dans son discours de Carthage le 31 juillet 1954. C'est finalement le 3
juin 1955 que les conventions franco-tunisiennes sont signées entre
le Premier
ministre tunisien Tahar Ben Ammar et
son homologue français Edgar Faure. En
dépit de l'opposition de Salah Ben Youssef,
qui sera exclu du parti, les conventions sont approuvées par le congrès du
Néo-Destour tenu à Sfax le 15
novembre de la même année. Après de nouvelles négociations, la France
finit par reconnaître « solennellement
l'indépendance de la Tunisie » le 20 mars 1956, tout en
conservant la base militaire de Bizerte.
Article détaillé : Protectorat
français de Tunisie.
Article
connexe : Mouvement
national tunisien
Tunisie indépendante
Le 25 mars 1956, l'Assemblée constituante est élue : le Néo-Destour en remporte tous les sièges et Bourguiba est porté à sa tête le 8 avril de la même année. Le 11 avril 1956, il devient le Premier ministre de Lamine Bey. Le Code du statut personnel, à tendance progressiste, est proclamé le 13 août. Finalement, le 25 juillet 1957, la monarchie est abolie ; la Tunisie devient une république dont Bourguiba est élu président le 8 novembre 1959. Le 8 février 1958, en pleine guerre d'Algérie, des avions de l'armée française franchissent la frontière algéro-tunisienne et bombardent le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef. En 1961, dans un contexte d'achèvement prévisible de la guerre, la Tunisie revendique la rétrocession de la base de Bizerte. La crise qui suit fait près d'un millier de morts, essentiellement tunisiens, et, devant la crainte d'une flambée de violence contre leur communauté, pousse 4 500 Juifs à quitter le pays en 1962.
Politiquement, la France finit, le 15 octobre
1963, par rétrocéder la base à l'État tunisien. Avec l'assassinat de Salah Ben Youssef,
principal opposant de Bourguiba depuis 1955, à Francfort et l'interdiction du Parti communiste (PCT) le 8 janvier 1963, la République
tunisienne devient un régime de parti unique dirigé
par le Néo-Destour. En mars 1963, Ahmed Ben Salah entame
une politique socialiste d'étatisation
pratiquement totale de l'économie.
Lors de la guerre des Six Jours, en juin 1967, des milliers de manifestants détruisent
les magasins juifs et incendient la Grande synagogue
de Tunis et ses livres sacrés, ce
qui pousse près de 10 000 Juifs tunisiens à quitter le pays.
Des émeutes contre la collectivisation des terres
dans le Sahel tunisien le 26 janvier 1969 poussent au limogeage
de Ben Salah le 8 septembre avec
la fin de l'expérience socialiste. Le taux de croissance annuel du PIB passe
cependant de 3,6 % pour les années 1950 à 5,7 % pour les années
1960, et la croissance par tête à 2,9 % contre
1,2 % pour les années 1950. Avec une économie affaiblie par cet épisode et
un panarabisme défendu par Mouammar Kadhafi,
un projet politique qui unifierait la Tunisie et la République arabe
libyenne sous le nom de République
arabe islamique est lancé en 1974
mais échoue très rapidement en raison des tensions tant nationales
qu'internationales.
Après la condamnation à une lourde peine de prison de
Ben Salah, rendu responsable de l'échec de la politique des coopératives,
viennent l'épuration de l'aile libérale du PSD animée par Ahmed Mestiri puis
la proclamation de Bourguiba comme président à vie en 1975. C'est dans ces
conditions, marquées par un léger desserrement de l'étau du PSD sous le
gouvernement d'Hédi Nouira, que l'Union
générale tunisienne du travail (UGTT)
gagne en autonomie tandis que naît en 1976 la Ligue
tunisienne des droits de l'homme,
première organisation nationale des droits de l'homme en Afrique et dans le
monde arabe. Le coup de force du « Jeudi noir » contre
l'UGTT en janvier 1978 puis l'attaque contre la ville minière de Gafsa, en janvier 1980,
ne suffisent pas à museler la société civile émergente.
Dès le début des années 1980, le pays traverse une
crise politique et sociale où se conjuguent le développement du clientélisme et
de la corruption, la paralysie de l'État devant la dégradation de la
santé de Bourguiba, les luttes de succession et le durcissement du régime. En
1981, la restauration partielle du pluralisme politique, avec la levée de
l'interdiction frappant le Parti communiste, suscite des espoirs qui seront
déçus par la falsification des résultats aux élections législatives de
novembre. Par la suite, la répression sanglante des « émeutes du pain » de décembre 1983, la nouvelle déstabilisation de
l'UGTT et l'arrestation de son dirigeant Habib Achour contribuent
à accélérer la chute du président vieillissant. La situation favorise la montée
de l'islamisme et
le long règne de Bourguiba s'achève dans une lutte contre cette mouvance
politique, lutte menée par Zine el-Abidine Ben
Ali, nommé ministre de l'Intérieur puis
Premier ministre en octobre 1987.
Durant ces années 1980, plusieurs incidents visent la
communauté juive ou ses synagogues comme durant le Yom Kippour 1982
dans plusieurs villes du pays, en octobre 1983 à Zarzis, en 1985 à la Ghriba, qui font prendre des mesures au gouvernement pour
assurer sa protection.
Le 7 novembre 1987, Ben Ali dépose le président
pour sénilité, un coup d'État
médical accueilli favorablement par
une large fraction du monde politique. Élu le 2 avril 1989 avec
99,27 % des voix, le nouveau président réussit à relancer l'économie alors
que, sur le plan de la sécurité, le régime s'enorgueillit d'avoir épargné au
pays les convulsions islamistes qui ensanglantent l'Algérie voisine, grâce à la
neutralisation du parti Ennahdha au
prix de l'arrestation de dizaines de milliers de militants et de multiples
procès au début des années 1990. Les opposants laïcs signent quant à eux le
Pacte national en 1988, plate-forme destinée à la démocratisation du régime.
Pourtant, l'opposition et de nombreuses ONG de défense des droits de l'homme accusent peu à peu le régime d'attenter aux
libertés publiques en étendant la répression au-delà du mouvement
islamiste. En 1994, le président Ben
Ali est réélu avec 99,91 % des voix.
L'année suivante, un accord de libre-échange est
signé avec l'Union européenne. Les élections du 24 novembre 1999, bien qu'elles soient les
premières présidentielles à être pluralistes avec trois candidats, voient le
président Ben Ali réélu avec un score comparable aux scrutins précédents. La
réforme de la Constitution approuvée par le référendum
du 26 mai 2002 accroît encore
les pouvoirs du président, repousse l'âge limite des candidats, supprime la
limite des trois mandats réintroduite en 1988 et permet au président de briguer
de nouveaux mandats au-delà de l'échéance de 2004 tout en bénéficiant d'une
immunité judiciaire à vie.
Le 11 avril 2002, un attentat au camion piégé
vise à nouveau la synagogue
de la Ghriba et provoque la mort
de 19 personnes dont quatorze
touristes allemands. Durant le premier semestre 2008, de graves troubles secouent la région minière de Gafsa durement frappée par le chômage et
la pauvreté. Le 25 octobre 2009, le président Ben Ali est réélu
pour un cinquième mandat consécutif avec 89,62 % des voix, passant pour la
première fois sous la barre des 90 %. La campagne est marquée par une
visibilité accrue de son épouse Leïla. L'un des
gendres du couple, Mohamed Sakhr El
Materi, est élu député à cette occasion.
Article détaillé : Histoire de la Tunisie depuis 1956.
Tunisie post-révolution
Le 17
décembre 2010, un climat
insurrectionnel éclate à la suite de l'immolation d'un jeune vendeur de fruits
et légumes ambulant, Mohamed Bouazizi, dans la région de Sidi
Bouzid ; celle-ci
devient le théâtre d'émeutes et d'affrontements meurtriers entre habitants et
forces de l'ordre. C'est le début du mouvement que l'on va appeler Printemps arabe.
Ces événements, qui s'étendent
ensuite à d'autres régions du pays, s'inscrivent dans un contexte où le taux de
chômage des jeunes diplômés est particulièrement élevé alors que le poids
démographique relatif des jeunes générations d'actifs atteint son maximum
historique. Les causes sont également politiques : le président Ben Ali et
sa famille, notamment celle de sa seconde épouse Leïla, les Trabelsi, qualifiés selon les observateurs de « clan
quasi-mafieux », sont directement mis en cause dans des affaires de
corruption, de détournement ou de vol, fléaux qui ont particulièrement pris de
l'ampleur sous sa présidence. Le 13 janvier 2011, Ben Ali annonce la prise de mesures
extraordinaires lors d'une intervention télévisée : la promesse d'une
pleine liberté de
la presse et d'expression politique ainsi que son refus de
se représenter aux élections prévues en 2014. Cependant, cette allocution ne
contribue pas à calmer la colère de la population, contraignant le président à
céder finalement le pouvoir à son Premier ministre Mohamed
Ghannouchi le
lendemain et à quitter le pays le soir même. Conformément à la Constitution de 1959, le président de la Chambre des députés, Fouad Mebazaa, est finalement proclamé président par intérim par
le Conseil constitutionnel le 15 janvier.
l est chargé d'organiser des élections
présidentielles dans les soixante jours. Le 17 janvier, un « gouvernement
d'union nationale » de 24 membres incluant
des opposants au régime déchu (dont trois chefs de l'opposition légale) est
constitué. Le jour même, la libération de tous les prisonniers d'opinion, la
levée de l'interdiction d'activité de la Ligue
tunisienne des droits de l'homme, « la liberté totale de l'information » ainsi
que la légalisation de tous les partis politiques et associations qui le
demanderaient, est annoncée. Cependant, la présence de membres du Rassemblement
constitutionnel démocratique (RCD)
à des postes clés provoque de nouveau, en moins de 24
heures, la colère de la population et la démission de plusieurs
ministres d'opposition, fragilisant d'autant plus ce gouvernement. Le départ ou
la radiation du RCD de plusieurs personnalités éminentes n'ont aucun effet
sur la suspicion que l'opinion publique entretient à l'égard de l'ancien parti
présidentiel, dont plusieurs manifestants réclament la dissolution. Cependant,
le 20 janvier, les ministres encore
affiliés à cette formation annoncent l'avoir quitté eux aussi. Face à la
pression de la rue exigeant leur départ, un remaniement ministériel a lieu le
27 janvier, écartant définitivement (hormis Mohamed Ghannouchi) les anciens
membres du RCD de toutes responsabilités gouvernementales. Le 6 février,
le ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi gèle
les activités du RCD en attendant sa dissolution juridique, tandis que le
Parlement confère au président par intérim des pouvoirs supplémentaires, comme
celui de dissoudre le Parlement.
Ghannouchi est cependant contraint de démissionner à
son tour le 27 février à la suite de plusieurs jours de manifestations marquées
par des violences ; il est remplacé le jour même par l'ancien ministre de
Bourguiba, Béji Caïd Essebsi. L'état d'urgence, en vigueur à partir de janvier 2011, est maintenu.
Le 15 septembre 2012, de violentes émeutes
éclatent à Tunis à la suite de la diffusion du film L'Innocence
des musulmans. Alors que les forces
de l'ordre restent passives, certains groupes salafistes prennent d'assaut
l'ambassade des États-Unis et l'incendient, détruisant plusieurs véhicules et
bâtiments. Mis sous pression par les États-Unis, le gouvernement décide de
réagir et envoie l'armée et la garde
présidentielle pour repousser les manifestants. Les affrontements font deux
morts et plusieurs blessés. Dans les mois qui suivent, l'armée et la garde nationale prennent la relève pour combattre les groupuscules
salafistes et djihadistes qui sont actifs sur le territoire. L'état d'urgence
est prolongé de trois mois en novembre 2012, pour n'être finalement levé qu'en
mars 2014.
En 2017 et 2018, le pays est touché par des vagues de contestation de la jeunesse tunisienne qui manifeste dans plusieurs villes du pays. En effet, à partir du début du mois, à Tunis, Gabès, Thala, Jilma, Kasserine, Sidi Bouzid, ou encore Gafsa, des Tunisiens expriment leur ras le bol face à la cherté de la vie, l'inflation (6,4 % en 2017) et un chômage omniprésent (15 % de la population active et 30 % des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur). Cette vague de contestation contre une politique d'austérité économique serait organisée par le Front populaire. Les heurts avec les policiers et forces de l'ordre font une victime et plusieurs blessés, et des centaines de manifestants sont arrêtés. L'Observatoire social tunisien recense 5 000 mouvements de protestation en 2015, plus de 11 000 en 2017 et 4 500 pour les quatre premiers mois de 2018.
Depuis 2011, les gouvernements successifs ont fait
appel au Fonds
monétaire international (FMI) pour
tenter de redresser la situation économique du pays. Un prêt de
1,74 milliard de dollars est accordé en juin 2013, puis un second de
2,9 milliards de dollars en 2016. Le FMI n'accorde toutefois ces prêts
qu'en contrepartie d'un plan de réformes libérales, telles que l'augmentation
de certains impôts, la réduction de la masse salariale dans
la fonction publique, la réduction des subventions sur
les prix des carburants, ou encore de la modification du système de retraite. En
avril 2016, le gouvernement accepte le principe de l'indépendance de la banque centrale, donnant la priorité au contrôle de l'inflation sur
le soutien au développement économique. Depuis le printemps 2017, elle laisse
filer le dinar, dont la valeur face à l'euro baisse de près de moitié. Face au poids de la
dette, l'État doit consacrer plus de 20 % de son budget à rembourser ses
créanciers, ce qui neutralise ses capacités d'investissement.
Le président Béji Caïd Essebsi meurt le 25 juillet 2019, à 92 ans. Fin 2019, un double scrutin, législatif le 6 octobre, et présidentiel, avec un premier tour en septembre et le second tour le
13 octobre, se déroule sans heurts, montrant une certaine maturité de la
démocratie électorale en Tunisie. Les élections législatives aboutissent
cependant à une assemblée fragmentée entre diverses formations. L'élection
présidentielle propulse à la tête de l'État un nouveau venu dans le monde
politique, un juriste et universitaire spécialiste du droit constitutionnel, âgé de 61 ans, Kaïs Saïed, élu
avec une confortable avance face, au second tour, à l'homme d'affaires Nabil Karoui. Kaïs
Saïed propose durant sa campagne une vision associant un certain conservatisme
moral et religieux, un souverainisme, et
un mode de fonctionnement démocratique à rebours de l'organisation
centralisée bourguibienne. Le 25 juillet 2021, invoquant l'article 80 de la Constitution, il limoge le gouvernement
Mechichi avec effet immédiat,
annonce la suspension de l'assemblée, la formation d'un nouveau gouvernement et
sa décision de gouverner par décrets et de présider le parquet, provoquant
ainsi une crise
politique. Le 22 septembre, il
confirme par décret le prolongement des décisions ainsi que la dissolution de
l'Instance provisoire chargée du contrôle de la
constitutionnalité des projets de loi,
et s'octroie le droit de gouverner par décret, récupérant de facto le
pouvoir législatif. Le 13 décembre, il annonce la tenue d'un référendum
constitutionnel qui se solde par la
large approbation d'une nouvelle Constitution mettant notamment en place un régime présidentiel, malgré un taux de participation d'un peu plus de
30 % des inscrits.
À une culture ibéromaurusienne,
répartie sur le littoral et relativement minime en Tunisie, succède la
période du Capsien, nom créé par Jacques de Morgan et
issu du latin Capsa,
qui a lui-même donné le nom de l'actuelle Gafsa. Morgan définit le Capsien comme étant une culture
allant du Paléolithique
supérieur au Néolithique,
couvrant ainsi une période qui s'étend du VIIIe au Ve millénaires av.
J.-C. D'un point de vue ethnologique et archéologique, le Capsien prend une
importance plus grande puisque des ossements et
des traces d'activité humaine remontant à plus de 15 000 ans sont
découverts dans la région. Outre la fabrication d'outils en pierre et en silex, les Capsiens produisaient, à partir
d'ossements, divers outils dont des aiguilles pour coudre des vêtements à
partir de peaux d'animaux.
Au Néolithique (4500 à 2500
av. J.-C. environ), arrivé tardivement dans cette région, la présence
humaine est conditionnée par la formation du désert saharien,
qui acquiert son climat actuel. De même, c'est à cette époque que le peuplement
de la Tunisie s'enrichit par l'apport des Berbères, issus
semble-t-il de la migration vers le nord de populations libyques (ancien
terme grec désignant les populations africaines en général).
Le Néolithique voit également le contact s'établir entre les Phéniciens de Tyr, les futurs Carthaginois qui
fondent la civilisation
punique, et les peuples autochtones de
l'actuelle Tunisie, dont les Berbères sont désormais devenus la composante
essentielle.
On observe le passage de la Préhistoire à
l'Histoire principalement
dans l'apport des populations phéniciennes, même si le mode de vie néolithique
continue un temps à exister aux côtés de celui des nouveaux arrivants. Cet
apport est nuancé, notamment à Carthage (centre de la civilisation punique
en Occident), par la
coexistence de différentes populations minoritaires mais dynamiques comme les
Berbères, les Grecs, les Italiens ou les Ibères d'Espagne.
Les nombreux mariages mixtes contribuent à l'établissement de la civilisation
punique.
Article connexe : Révolution tunisienne.